Propos Dharmiques

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Quoi que ce soit, cela n’est pas mien (N’etam mama)
Quoi que ce soit, je ne suis pas cela (N’eso’ham asmi)
Quoi que ce soit, cela n’est pas mon ego (Na me so attā)

Il y a un sans naissance, sans devenir, sans création, sans conditions
atthi ajātaṃ abhūtaṃ akataṃ asankhataṃ


Nous, les Sceptiques, frères des Kālāmā

Nous, les Sceptiques, qui pouvons n’avoir aucune croyance, aucune « foi », aucune opinion, aucune certitude, il n’est qu’une Voie pour nous satisfaire, nous réjouir, la Voie du Dharma.

Voici le Sutta aux Kālāmā, les sceptiques du temps du Bouddha. Il montre qu’il est possible de suivre cette Voie sans aucun a priori, simplement en « voyant » les phénomènes tels qu’ils sont.

Le Dharma du Bouddha n’est pas une religion, ce n’est pas non plus une philosophie, à moins que l’on égale Prajñā et Sophia – elles ont en commun quelques caractères, mais ne peuvent être confondues.

Ce Dharma est une voie négative par excellence, une voie qui conduit à l’Absolu, qui donne accès à l’Absolu, au « sans conditions », résolvant ainsi tout problème phénoménal quelque subtil qu’il soit. En effet, toutes les difficultés humaines proviennent de l’impact des phénomènes, des apparences. Les cerveaux, informés par les sens, transforment les données sensorielles, les interprètent, concoctent des fantasmes, échafaudent des opinions, des croyances, des certitudes et vont ainsi vers l’insatisfaction, la peine, la frustration, le malheur, le mal de vivre qui accablent le « moi » illusoire construit lui-même par ces cerveaux obscurcis, par la psyché aveuglée, par le cœur obnubilé.

Le Sutta aux Kālāmā (Kālāmā Sutta)

1. Ainsi ai-je entendu : en ce temps-là le Bhagavat voyageait avec un grand nombre de Bhikkhous dans le district de Kosala. Il arriva à Kesaputta, une ville commerçante des Kālāmā. Et les Kālāmā de Kesaputta entendirent : « En vérité, l’ascète Gotama, fils des Sakya, quittant leur clan, est venu à Kesaputta. Concernant le Bhagavat [1] Gotama, le bruit auspicieux de sa renommée s’est élevé : “le Bhagavat est un Arahat, complètement Éveillé du Parfait Éveil, Doué de Vue et de conduite, Voyant des mondes, Guide incomparable des hommes qui peuvent être entraînés, Instructeur des deva et des hommes, Éveillé, Bhagavat. C’est une bonne chose d’aller voir de tels Arahat.” »

Alors les Kālāmā de Kesaputta allèrent au lieu où était le Bhagavat et, arrivant là, certains saluèrent révérencieusement le Bhagavat et s’assirent de côté, d’autres le louèrent courtoisement et s’assirent de côté, d’autres joignirent les paumes, le saluèrent respectueusement et s’assirent de côté, d’autres annoncèrent leur nom et leur clan et s’assirent de côté, d’autres s’assirent de côté silencieusement.

2. Et les Kālāmā de Kesaputta s’asseyant de côté dirent au Bhagavat : « Vénérable [2], certains ascètes et brahmanes viennent à Kesaputta et louent, glorifient leur propre doctrine, ils déprécient, méprisent, dénigrent, estropient la doctrine des autres ; certains autres ascètes aussi, venant à Kesaputta, font de même. Concernant ces ascètes, Bhagavat, nous doutons, nous sommes incertains. De ces ascètes, qui dit la vérité, et qui, l’erreur ?

3. — Kālāmā, il vous est propre de douter, d’être incertains. L’incertitude s’est élevée en vous à propos de ce qui est douteux. Venez, Kālāmā, pas de discours rapporté, pas de tradition, pas de ouï dire, pas de considération basée sur l’autorité des Écritures, pas de cogitations, pas de logique, pas de raisonnement spécieux, pas de réflexion, pas d’acceptation de ce qui semble être la capacité d’une personne, pas de pensée “cet homme est notre guru”. Kālāmā, quand vous connaissez par vous-mêmes “ces dharma [3] sont défavorables, ces dharma sont blâmables, ces dharma sont censurés par le sage, entrepris et observés, ces dharma conduisent au mal, à la souffrance”, alors abandonnez-les.

4. Qu'en pensez-vous, Kālāmā ? Est-ce que la convoitise[4] apparaît dans un homme pour son bien ou pour son mal ?

— Pour son mal, Vénérable.

— Kālāmā, cet homme avide, au cœur dominé, submergé par la convoitise, prend la vie, vole, commet l’adultère et ment, il incite les autres à faire de même. Cela ne suffit-il pas à son mal, à sa souffrance ?

— Oui, Vénérable.

5. Qu'en pensez-vous, Kālāmā ? Est-ce que la haine[5] apparaît dans un homme pour son bien ou pour son mal ?

— Pour son mal, Vénérable.

— Kālāmā, cet homme haineux, au cœur dominé, submergé par la haine, prend la vie, vole, commet l’adultère et ment, il incite les autres à faire de même. Cela ne suffit-il pas à son mal, à sa souffrance ?

— Oui, Vénérable.

6. Qu'en pensez-vous, Kālāmā ? Est-ce que l’illusion[6] apparaît dans un homme pour son bien ou pour son mal ?

— Pour son mal, Vénérable.

— Kālāmā, cet homme stupide, au cœur dominé, submergé par l’illusion, prend la vie, vole, commet l’adultère et ment, il incite les autres à faire de même. Cela ne suffit-il pas à son mal, à sa souffrance ?

— Oui, Vénérable.

7. Qu'en pensez-vous, Kālāmā ? Ces dharma sont-ils favorables ou défavorables ?

— Défavorables, Vénérable.

— Blâmables ou non blâmables ?

— Blâmables, Vénérable.

— Censurés ou loués par le Sage ?

— Censurés, Vénérable.

— Entrepris et observés, conduisent-ils au mal et à la souffrance ou non ? Qu’en pensez-vous ?

— Entrepris et observés, ils conduisent au mal et à la souffrance, ainsi nous semble-t-il.

8. — Par conséquent, nous parlions en vérité quand nous disions ainsi : venez Kālāmā, pas de discours rapporté, pas de tradition, pas de ouï dire, pas de considération basée sur l’autorité des Écritures, pas de cogitations, pas de logique, pas de raisonnement spécieux, pas de réflexion, pas d’acceptation de ce qui semble être la capacité d’une personne, pas de pensée “cet homme est notre guru”. Kālāmā, quand vous connaissez par vous-mêmes “ces dharma sont défavorables, ces dharma sont blâmables, ces dharma sont censurés par le sage, entrepris et observés, ces dharma conduisent au mal, à la souffrance”, alors abandonnez-les.

9. Venez Kālāmā, pas de discours rapporté... (comme au 3). Kālāmā, quand, par vous-mêmes, vous connaissez “ces dharma sont favorables, ces dharma ne sont pas blâmables, ces dharma sont loués par le Sage, entrepris et observés, ces dharma conduisent au bénéfice, au bonheur”, alors adoptez-les et demeurez-y.

10. Maintenant qu’en pensez-vous, Kālāmā ? Quand l’absence de convoitise apparaît dans un homme, est-ce pour son bénéfice et son bonheur ?

— Pour son bénéfice, Vénérable.

— Kālāmā, cet homme non avide, au cœur non dominé, non submergé par la convoitise, ne prend pas la vie, ne vole pas, ne commet pas l’adultère, ne ment pas; il incite les autres à faire de même.

11. — Qu’en pensez-vous, Kālāmā ? Quand l’absence de haine apparaît dans un homme, est-ce pour son bénéfice et son bonheur ?

— Pour son bénéfice, Vénérable.

— Kālāmā, cet homme sans haine, au cœur non dominé, non submergé par la haine, ne prend pas la vie, ne vole pas, ne commet pas l’adultère, ne ment pas, il incite les autres à faire de même.

12. — Qu’en pensez-vous, Kālāmā ? Quand l’absence d’illusion apparaît dans un homme, est-ce pour son bénéfice et son bonheur ?

— Pour son bénéfice, Vénérable.

— Kālāmā, cet homme non égaré, au cœur non dominé, non submergé par l’illusion, ne prend pas la vie, ne vole pas, ne commet pas l’adultère, ne ment pas, il incite les autres à faire de même.

13. Qu'en pensez-vous Kālāmā ? Ces dharma sont-ils favorables ou défavorables ?

— Favorables, Vénérable.

— Blâmables ou non blâmables ?

— Non blâmables, Vénérable.

— Censurés ou loués par le Sage ?

— Loués, Vénérable.

— Entrepris et observés, conduisent-ils au bénéfice et au bonheur ou non ? Qu’en pensez-vous ?

— Entrepris et observés, ils conduisent au bénéfice et au bonheur, ainsi nous semble-t-il.

14. Par conséquent parlions-nous en vérité, Kālāmā, quand nous disions ainsi : venez, Kālāmā, pas de discours rapporté, pas de tradition, pas de ouï dire, pas de considération basée sur l’autorité des Écritures, pas de cogitations, pas de logique, pas de raisonnement spécieux, pas de réflexion, pas d’acceptation de ce qui semble être la capacité d’une personne, pas de pensée “cet homme est notre guru”. Kālāmā, quand vous connaissez par vous-mêmes “ces dharma sont favorables, ces dharma ne sont pas blâmables, ces dharma sont loués par le Sage, entrepris et observés, ces dharma conduisent au bénéfice, au bonheur”, alors adoptez-les et demeurez-y.

15. Le disciple Ariya[7], Kālāmā, qui, de cette manière, est exempt de convoitise, de haine, non confus, comprend clairement, est vigilant et demeure avec un cœur plein d’Amour pur,… d’Amour agissant,… d’Amour joyeux,… de Sérénité,… largement étendu, grandement développé, libre d’animosité et d’oppression, qu’il « transfuse » dans un premier quartier, puis dans un second, dans un troisième, dans un quatrième quartier du monde. Et de même, au-dessous, au-dessus, à travers, partout, pour toutes existences et conditions, il demeure « transfusant » le monde entier avec un cœur plein d’Amour pur,… d’Amour agissant,… d’Amour joyeux,… de Sérénité,… largement étendu, grandement développé, libre d’inimitié et d’oppression. Par ce disciple Ariya, dont le cœur est ainsi libre d’inimitié, libre d’oppression, non souillé et rendu pur, en cette vie même, par lui-même, quatre soulagements sont atteints, soit :

16. “S’il y a un monde au-delà et s’il y a un fruit, un résultat des actes bien ou mal faits, alors, quand le corps se brisera à la mort, je renaîtrai dans le monde heureux des cieux.” Ceci est le premier soulagement qu’il atteint.

“Si, toutefois, il n’y a pas de monde au-delà, pas de fruit, de résultat des actes bien ou mal faits, néanmoins, dans cette vie même je demeurerai libre d’inimitié et d’oppression, sans chagrin et heureux.” Ceci est le deuxième soulagement qu’il atteint.

“Même si, comme résultat des actions, le mal est fait par moi, néanmoins, je ne projetterai aucun mal sur personne. Et, si je ne fais pas le mal, comment le chagrin pourrait-il me toucher ?” Ceci est le troisième soulagement qu’il atteint.

“Mais si, comme résultat des actions, aucun mal n’est fait par moi, alors des deux manières (c’est-à-dire par inadvertance ou intentionnellement), je demeurerai complètement pur.” Ceci est le quatrième soulagement qu’il atteint.

Ainsi, Kālāmā, le disciple Ariya, dont le cœur est sans haine, sans oppression, sans souillures et pur, dans cette vie même, atteint ces quatre soulagements.

17. — Ainsi en est-il Bhagavat, ainsi en est-il Sugata[8]. Ce disciple Ariya, dont le cœur est sans haine, sans oppression, sans souillures et pur, dans cette vie même, atteint ces quatre soulagements.

Excellent, Vénérable ! Nous allons vers le Bouddha, nous allons vers le Dhamma, nous allons vers le Sangha comme vers un refuge, que le Bhagavat nous accepte comme disciples laïques à partir de ce jour, aussi longtemps que la vie durera ; nous avons ainsi pris refuge. »


[1] Bhagavat : illustre, sublime.

[2] Bhante : Vénérable.

[3] Dharma (Dhamma en pāli) est un mot multivalent du sanskrit, langue synthétique ; de la racine DHṚ- « porter, supporter, tenir » ; en français : « choses » (latin causa), phénomènes, conditions, doctrine, proposition, objet, idées, etc. Nous avons préféré ne pas le traduire. Dans le cas du Sutta, proposition, condition, acte, idée conviendraient.

[4] Lobha (pāli et sanskrit) : désir, convoitise (même racine que libido).

[5] Dosa (sanskrit dveṣa) : depuis l’animosité, la malveillance, jusqu’à la haine meurtrière.

[6] Moha (pāli et sanskrit) : illusion, stupidité, égarement, aveuglement, etc.

[7] Ariya : digne, noble, digne d’être connu.

[8] « Su-gata » : mot à mot, le « Bien-allé », épithète fréquente du Bouddha.


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