Quoi que ce soit, cela n’est pas mien (N’etam mama)
Quoi que ce soit, je ne suis pas cela (N’eso’ham asmi)
Quoi que ce soit, cela n’est pas mon ego (Na me so attā)

Il y a un sans naissance, sans devenir, sans création, sans conditions
atthi ajātaṃ abhūtaṃ akataṃ asankhataṃ

Que signifie le mot « bouddha » ?

Le mot « bouddha » (buddha en sanskrit et en pāli) n’est pas un nom de personne, pas un nom propre. C’est une épithète, un adjectif, le participe passé substantivé du verbe sanskrit BUDH-, budhyate, signifiant notamment « s’éveiller, se réveiller, reprendre connaissance, observer, reconnaître, comprendre » et aussi « éveiller, réveiller, ranimer, faire observer, attirer l’attention, faire comprendre, informer, conseiller ».

Un Bouddha est donc un humain, « sur-humain » certes (d’où la majuscule !), mais un humain, qui, s’étant tout d’abord « réveillé du sommeil de l’ignorance » par l’éveil de la Prajñā, la Connaissance transcendante, s’est ensuite, en « développant » au plus haut cette Prajñā par l’ascèse du Dharma, pleinement libéré de tout conditionnement, en un « parfait et complet Éveil » (samyaksambodhi), nirvāṇa (prononcer « nirouâna »), qui est extinction totale, « exsufflation » de l’ego, du « moi illusoire » et connaissance de l’Inconditionné, l’Absolu…

Et cet humain devenu un Bouddha, après avoir hésité, tant ce Dharma est subtil, difficile à comprendre, « trans-mental », au-delà des mots et des idées, a décidé de montrer, à ceux de ses frères et sœurs humains qui pouvaient comprendre, ce qui lui avait si bien réussi, un « remède », ce « sentier » (mārga) qu’il avait lui-même emprunté, c’est-à-dire des indications, une « vue » du monde et des moyens pratiques, susceptibles de les aider à sortir de l’ignorance des « choses telles qu’elles sont », source de tous leurs malheurs : ne pas voir que les phénomènes, tous les phénomènes, si subtils soient-ils, ne sont que des apparences, des « bulles », creux, vides, puisque sans essence ; que cette « vacuité » (śūnyatā) des phénomènes va de pair avec leur « télléité » (tathatā), c’est-à-dire le fait qu’ils soient complètement déterminés « tels » que les façonnent leurs causes et leurs conditions particulières (d’autres phénomènes !) Ne pas voir non plus (ou oublier) que ces phénomènes sont éphémères, changeants, impermanents, non durables, et ne pas voir enfin qu’ils sont, du seul fait de ces deux caractéristiques, insatisfaisants, décevants, pénibles, douloureux, etc., y compris et surtout ce « moi », ce fantôme de l’ego, suprême illusion à l’origine de toutes les autres et qu’il convient d’abandonner, de « laisser aller », comme on dépose un fardeau. Que reste-t-il alors ? Rien, aucune chose, rien que la Béatitude de la « totale vacuité » atyante śūnyatā… Et l’existence d’un Bouddha, d’un Grand Éveillé continue alors, « comme la roue du potier tourne encore, alors que le pied a quitté le volant », jusqu’à la mort en parinirvāṇa, le nirvāṇa « sans restes » des Bouddhas…

Un Bouddha n’est donc pas un « dieu » et le Dharma n’institue pas une religion (qui serait « relié » à quoi ?), contrairement à ce que pourraient laisser supposer certains comportements « bouddhistes » d’hier et d’aujourd’hui (dus sans doute au besoin naturel des humains de croire, au besoin de merveilleux, d’adoration). Le chemin dharmique ne repose ni sur des croyances ni sur une foi, en qui ou en quoi que ce soit. Comme déjà dit, il s’adresse aux sceptiques, à qui il recommande même de douter sans réserve, non pas, bien sûr, du doute stérile, stupide attitude qui empêche tout examen, toute recherche, toute expérimentation, qui « bloque » toute idée même d’ascèse, mais du doute sceptique, celui qui pousse à la recherche, qui suscite la prise en considération d’hypothèses plausibles et qui incite à essayer de les vérifier (cf. le Sutta aux Kālāmā, Anguttara Nikāya 3.65).

Précisons encore que nul ne sait exactement en quelle langue le dernier Bouddha plus ou moins connu historiquement enseignait le Dharma, ni comment cet enseignement est parvenu jusqu’à nous. Ce Bouddha n’aurait rien écrit et même les dates de sa vie sont sujettes à caution. Les textes pāli ou sanskrit parlant de son existence, pleins de mythologie et d’histoires « à dormir debout », n’apportent aucun renseignement historique digne de ce nom. Les premiers textes « bouddhiques » seraient apparus entre trois cents et quatre cents ans après sa mort, nul ne s’accorde là-dessus. Cependant, et c’est ce qui compte, il est possible de retrouver l’essentiel de cet enseignement, le « noyau » du Dharma, en premier lieu, par la Prajñā, la Connaissance transcendante, qu’il convient de s’efforcer d’éveiller et de développer pour une compréhension profonde du Dharma, et en second lieu, en déblayant les textes des aspects irrationnels qui les encombrent, en rectifiant la signification des mots et des notions dharmiques, que des traductions erronées et des interprétations fantaisistes occultent presque complètement…

 

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L’hésitation du Bouddha à enseigner

Il faut noter qu’après son Éveil, le Bouddha hésite à enseigner, car ce Dharma est très profond, sa compréhension, très difficile. Une compréhension dialectique, en connaissance discriminative (sk : vijñāna), par la seule raison, bien qu’elle soit nécessaire, ne peut être suffisante, effective pour l’ascèse : les choses peuvent en rester à un simple intérêt pour le Dharma, une distraction intellectuelle de plus... C'est pourquoi, un premier Éveil, si faible soit-il, ne peut se produire que par une compréhension au-delà de la dialectique, en Connaissance transcendante, en « Prajñā » (pra- « au-delà », JÑĀ- « connaître »). Bien sûr, l’influence de la Prajñā à l'origine de ce premier Éveil n'est généralement pas clairement ressentie parce que son impact sur le citta (le cœur)[1] est trop faible : il faut se souvenir que la Prajñā n’est pas du domaine de la conscience, mais qu'elle agit (manière de dire !) sur le subconscient et sur le conscient : par une ascèse, elle peut devenir de plus en plus perceptible, mais seulement par ses effets sur l'existence, le comportement, le mental, la raison, la compréhension de soi-même, des autres, du monde et de son contenu, etc. De même, la décision de s’engager sur la Voie dharmique est une détermination qui est, elle aussi, le fruit d'une Prajñā éveillée. L’ascèse du Dharma consistera alors à faire en sorte que cette Prajñā éveillée s’affermisse, se fortifie et que, de simple pouvoir, elle se développe, peu à peu et abruptement à la fois, en une force qui fera comprendre le Dharma noétiquement, comme saṃvṛtti-satya « l’essentiel exprimé, avec activité mentale, idées, concepts » (racine VṚT- « tourner, rouler ») et qui, développée au plus haut, devenue Prajñā pāramitā « perfection de Connaissance transcendante » (pāramitā : allée au-delà), fera Voir le Dharma anoétiquement, c’est-à-dire par la Prajñā seule, hors de toute activité mentale et le cœur immobile (citta acalā)[2], en compréhension absolue de paramārtha satya « l’essentiel au-delà de l’expression, au-delà de la signification », sans mots, sans idées, Totale Vacuité, Inconditionné, Abandon total du moi, Nirvāṇa .

Voici un extrait du Majjhima Nikaya, 26 (Ariyapariyesana Sutta), qui montre l'hésitation du Bouddha à enseigner.

« Il me vint à l’idée, Bhikkhous : ce Dharma obtenu par moi est profond, difficile à voir, difficile à comprendre, tranquille, excellent, au-delà de la dialectique, subtil, intelligible à l’érudit. Mais si celui-ci est une existence se délectant dans le plaisir sensuel, délecté par le plaisir sensuel..., ceci sera une chose difficile à voir, c’est-à-dire la cause originelle par voie de condition [3]. Ceci serait aussi difficile à voir, c’est-à-dire la tranquillisation de toutes les activités, la renonciation à tout attachement, la destruction du désir ardent, la suppression de la passion, l’arrêt, le Nirvāṇa. »

Voir aussi : prévalence du Dharma.

[1] Il s'agit, bien évidemment, du « cœur psychologique », non de la pompe sanguine !

[2] La Prajñā est alors « allée complètement au-delà » (pārasaṃgate) de toute « agitation » neuronale et synaptique, c'est-à-dire sans le corps (kāya), qui est comme absent, sans le manas (mental), qui est arrêté, et sans le citta, qui est immobile...

[3] La « Chaîne des origines interdépendantes », le pratītyasamutpāda.


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